« (...) [ces] personnages de la scène médiatico-politique qui (...) miment la figure et le rôle de l'intellectuel (...) ils ne peuvent donner le change qu'au prix d'une présence constante dans le champ journalistique (...) et y importent des pratiques qui, en d’autres univers, auraient pour nom corruption, concussion, malversation, trafic d’influence, concurrence déloyale, collusion, entente illicite ou abus de confiance et dont le plus typique est ce qu’on appelle en français le "renvoi d’ascenseur" ». Pierre Bourdieu, « Et pourtant », Liber n°25, décembre 1995.

lundi 26 septembre 2011

Portrait d'un marchand d'armes en bienfaiteur de l'humanité et en poète.

Dans Le Magazine du Monde n°1 daté du samedi 24 septembre 2011 Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin font le portrait d'Arnaud Lagardère (le patron-héritier du groupe Lagardère "8 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 28 000 salariés") qui n'arrive pas à se faire hériter par son héritage.
Ce portrait est aussi  l'occasion pour les deux échotières de faire un autre portrait, celui de feu Jean-Luc Lagardère (le papa d'Arnaud), un marchand d'armes qui a su utiliser toutes les techniques publicitaires pour transformer bien des journalistes en empressés postulants à la prestigieuse Laisse d'or du journal Le Plan B, et ainsi contribuer à laisser non questionné (à de rares exceptions près comme : http://www.passant-ordinaire.com/revue/45-46-545.asp) le principe le plus anti-démocratique qui soit, à savoir le "principe dynastique" qui profite aux héritiers Lagardère - Arnault - Bolloré - Bouygues - Dassault - Pinault - Sarkozy :

"(...) Jean-Luc, dont les anciens du groupe continuent de chérir le mythe si séduisant (...)
le bureau qui fut celui de Jean-Luc Lagardère et dont les fenêtres offrent une vue imprenable sur l'Arc de triomphe.(...)
l'image indépassable de ce père légendaire (...)
le mythe (...)
ce tennisman acharné (...)
De sa longue écriture déliée, Jean-Luc Lagardère a réglé sur une page les modalités de la gouvernance de son entreprise dans l'hypothèse, à laquelle il n'a pourtant jamais voulu croire, où il disparaîtrait. (...)
Jean-Luc Lagardère n'a jamais envisagé de succession autre que dynastique. (...)
se déroulent en l'église Saint-François-Xavier, les obsèques de "Jean-Luc". La cérémonie est digne d'un chef d'Etat. "Bethy" Lagardère a voulu un enterrement aussi élégant que celui de Gianni Agnelli, le patron de la Fiat, auquel elle a assisté avec Jean-Luc, à Turin. Comme pour l'industriel italien, le cercueil a été recouvert d'un tapis tissé de fleurs : son mari avait trouvé que "cela avait de la gueule". Les innombrables personnalités, grands patrons, ministres, artistes, stars des médias ont été "placées" dans l'église. L'épouse de l'émir du Qatar a fait envoyer un arbre, afin qu'il soit planté dans le jardin de l'hôtel particulier des Lagardère, voisin du Musée Rodin. La messe est dite par l'archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger, dont l'hôtel particulier jouxtait celui du défunt et qui lui a administré les derniers sacrements. C'est enfin Bernard-Henri Levy qui brosse le portrait de l'industriel gascon en "anti- Citizen Kane". Comment mieux dire à tous que l'on enterre une légende nationale ? (...)
Jean-Luc est un homme auquel on ne résiste pas. (...)
Le père s'astreint pour sa part à la discipline des vainqueurs. A midi, quatre yaourts et quelques balles au fond d'un court. S'il déjeune au Laurent, ce grand restaurant à deux pas de l'Elysée, avec les plus grands clients de l'industrie de l'armement de France et du monde, son menu est immuable : une salade, un poisson grillé, jamais de vin. Car "Jean-Luc" veut vivre longtemps. Il s'est remarié avec Bethy Pimenta Lucas, une étourdissante beauté de dix-huit ans sa cadette, débarquée de Rio de Janeiro pour devenir mannequin chez Ungaro. Une brune jais de 1,80 m - comme Jade. "Des seins sublimes en poire, un corps de rêve, une magie", se souvient une élégante qui l'aperçoit alors chez le grand couturier où elle présente les collections de haute couture à de riches clientes. Une personnalité chic et exubérante, qui s'impose vite dans le tout-Paris (...)
Le dimanche soir, lors des légendaires plats de pâtes que les amis sont invités à partager rue Barbet-de-Jouy, on trouve souvent un garçon dont le couple raffole, Jean-Paul Gut, l'ami de lycée d'Arnaud, le partenaire de tennis de Jean-Luc, entré à 22 ans dans le groupe et devenu un des cadres influents d'EADS. (...)   
"Avoir un héritier : ce principe dynastique a été l'obsession de Jean-Luc toute sa vie", se souvient l'économiste Alain Cotta, qui le conseille alors. Le "baron" voit dans le culte de sa descendance comme dans celui de sa santé le remède contre déchéance et échéances. "C'était l'une de ses rares faiblesses : il était terrifié par la mort, ont compris ses proches. Il ne supportait pas qu'on lui en parle et avait fini par se croire immortel. Arnaud était son fils chéri, mais aussi son assurance de vivre éternellement à la tête du groupe." (...)
lui qui n'a jamais cessé de battre son fils au tennis (...)  
"Jean-Luc avait fait sien, sans le savoir, le beau vers de Bernard Noël : 'j'habiterai mon nom'. " Un Lagardère, qui plus est fils unique, ne refuse pas un tel héritage. "N'oublions pas que Jean-Luc avait convié tout le comité exécutif au baptême d'Arnaud...", rappelle un cador du groupe. (...)
Jean-Luc a aussitôt déménagé d'un étage afin d'installer son fils dans son bureau et marquer symboliquement la succession. (...)  
"Jamais Jean-Luc n'aurait fait ça", soupirent ceux qui l'ont connu. Répétée sous le manteau, la formule est devenue dans le groupe une grinçante antienne. "Jamais Jean-Luc", bourreau de travail, n'aurait passé une semaine dans les gradins pour voir l'ami tennisman Richard Gasquet jouer le Masters de Shanghaï. "Jamais Jean-Luc" n'aurait annulé des rendez-vous : "Avec lui, au contraire, un petit-déjeuner durait trois heures. Il nous pompait tout, notre savoir, nos idées, les dernières informations", se souvient un banquier. (...)  
"Jamais Jean-Luc" n'aurait ignoré les noms des nouveaux chroniqueurs d'Europe 1, lui qui passait presque chaque soir par le siège de la radio mythique. "Jamais Jean-Luc" n'aurait refusé dîners et mondanités essentiels à son activité. (...)
un matin de mars 2003, alors que le capitaine d'industrie venait de se faire opérer à la clinique du Sport, son maître d'hôtel le retrouva au pied du lit, plongé dans un coma sans retour. Sur sa table de chevet, était posé un livre relié, dont il avait offert un exemplaire à plusieurs de ses intimes : les Lettres sur l'éducation du dauphin, de Bossuet."

Un beau missile

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